Integralité et Préservation
des
Evénements Stratigraphiques

C. Cramez

 

Keywords: Stratigraphy, Completeness, Preservation, Geologic Event.

Abstract: Sedimentary records are incomplete and bounded by significant quite periods of time during which nothing happens at the geological standpoint. The most represented geological events on stratigraphic records are those having a normal, or low frequency, that is to say, those happening sporadically.

I- Avant-propos

Au cours des certains exposés, j'ai eu l'impression que deux concepts stratigraphiques, autrement dit l'intégralité et la préservation des événements stratigraphiques, le plus souvent, ne sont pas prises en compte dans les hypothèses géologiques avancées par certains géologues. Or, une telle attitude rend leurs hypothèses peu probables. En effet, dans les interprétations et évolutions stratigraphiques, il faut éviter de proposer des modèles basés uniquement sur les événements géologiques préservés dans les sections stratigraphiques.

II- Introduction

Depuis toujours, les géologues se sont posé la question de la continuité versus discontinuité des événements géologiques. Ainsi, à la question: Les registres sédimentaires sont-ils les résultats de processus géologiques plus ou moins continus ou sont-ils associés à des processus extraordinaires qui prennent place de manière spasmodique? les géologues ont, depuis le XVIIIe siècle, donné des réponses souvent très opposées. Cependant, aujourd’hui, la majorité des géologues considère que les registres sédimentaires sont incomplets et séparés par des importantes périodes de calme pendant lesquelles rien ne se passe au point de vue géologique. Ainsi, il est surprenant de voir que certains de nos collègues continuent à oublier dans leurs modèles sédimentaires les longues périodes de calme où rien ne se passe. En fait, dans la plupart des sections stratigraphiques, la durée des hiatus (qu’ils soient de non-dépôt ou d’érosion) est, généralement, plus importante que la durée totale de dépôts effectifs des sédiments préservés. D’autre part, certains dépôts, comme les fluviatiles, et tout particulièrement les dépôts de débordement, ont une préservation relativement faible, car ils se déposent au-dessus du niveau de base. Par contre, les dépôts turbiditiques, le plus souvent d'eau profonde*, soulignent des événements géologiques épisodiques et ont une préservation excellente car ils se déposent largement au-dessus du niveau de base.

* Des dépôts associés à des courants de gravité sont aussi possibles dans des environnements lagunaires et plus rarement dans les environnements fluviatiles

III- Intégralité des sections stratigraphiques

Les sections stratigraphiques sont, pour Sadler (1982), des archives locales de l’histoire géologique. Les registres de ces archives sont les couches sédimentaires déposées en séquence et qui sont, le plus souvent, numérotées d’après leur épaisseur plutôt que d’après leur temps de dépôt. Cependant, les sections stratigraphiques contiennent des nombreux hiatus induits soit par l’érosion, soit par les périodes de non-dépôt (fig.1).

Fig. 1- Dans ces deux modèles stratigraphiques il est important de remarquer que dans la partie supérieure de chaque section, la durée des périodes de non-dépôt est largement supérieure à celle du dépôt, autrement dit la plupart des événements géologiques qui ont pris place pendant cette période et qui n’ont pas enregistrés ou préservés.

Par conséquent, trois questions sont venues  à l’esprit des géologues:

1) En combien de temps se dépose une couche sédimentaire ?
2) En combien de temps une section stratigraphique s’est-elle déposée ?
3) Par rapport à la durée totale du dépôt d’une section stratigraphique pendant combien de temps y a t-il eu vraiment dépôt ?

Les réponses aux deux premières questions sont relativement faciles.

Ainsi, on peut dire :

a) Une lamination d’un dépôt de plage se dépose en environ une seconde.

b) Une couche HSC («hummocky cross stratification»), caractéristique des dépôts de tempête, se dépose en quelques minutes.

c) Une couche turbiditique se dépose en quelques heures.

d) Des dépôts d’inondation, comme les Scablands* du Canada, se sont déposés pendant quelques semaines.

e) Les varves glaciaires se déposent pendant 1 an.

f) Un centimètre de sédiments pélagiques se dépose pendant environ mille ans.

g) Un sous-cycle d’empiétement continental se dépose en 10-20 x 106 ans.

h) Un cycle d’empiétement continental se dépose en 100-200 x 106 ans**.

Il est beaucoup plus difficile de répondre à la dernière question parce qu’elle pose le problème de l’intégralité (« completeness» des anglo-saxons) des sections stratigraphiques, autrement dit celui de savoir combien d’événements géologiques qui ont pris place pendant la durée totale de dépôt sont préservés dans la section.

 * Dépôts et érosions associées aux inondations induites par la rupture de la rétention des lacs en arrière de glaciers Plio-Pleistocènes.

** A ce sujet, Sadler, en 1982, a montré que la durée d’un dépôt est inversement proportionnelle la vitesse de sédimentation. En d’autres termes, plus la vitesse de sédimentation est grande plus courte est la période de dépôt. De ceci s’ensuit que la majorité des périodes de non-dépôt nous échappent, ce qui a amené Ager à considérer que les registres sédimentaires correspondent à des courtes périodes de terreur séparées par des longues périodes de calme où rien ne se passe.

IV- Préservation des sections stratigraphiques

La préservation des sections stratigraphiques est en grande partie liée (i) à l’amplitude, (ii) à la fréquence des événements stratigraphiques et (iii) à l’environnement du dépôt. Les événements stratigraphiques les plus représentés dans les registres stratigraphiques sont ceux qui ont une fréquence normale, ou faible, autrement dit ceux qui prennent place sporadiquement.

Au point de vue de la fréquence, les cônes sous-marins de bassin, ou de talus, sont très significatifs, car les niveaux turbiditiques contrastent très fortement avec les intervalles pélagiques qui les séparent. Les intervalles pélagiques sont des événements stratigraphiques à fréquence normale, tandis que les intervalles turbiditiques sont associés à des événements géologiquement instantanés. L’exemple proposé par R. H. Dott (1983) donne une bonne image du rapport magnitude / fréquence des événements stratigraphiques:

1) Imaginons un intervalle stratigraphique composé par 100 couches de turbidite et d’argiles pélagiques où chaque couche turbiditique a une épaisseur de 10 cm et chaque couche pélagique a une épaisseur de 5 cm. L’épaisseur totale étant de 15 m.

2) Étant donnée que la moyenne du temps de dépôt des argiles pélagiques est 5 cm / 1000 ans et que les courants turbiditiques sont des événements stratigraphiques instantanés, on peut déduire: (i) que le temps total de dépôt est 100.000 ans et, (ii) que la fréquence des courants turbiditiques est de 1000 ans.

Ainsi, on peut conclure que :

A) Deux tiers de l’intervalle sédimentaire ont été déposés en association avec des événements instantanés dont la fréquence est un événement tous les 1000 ans.

B) En 10 millions d’années, 10.000 événements géologiquement instantanés peuvent déposer une section de 1500 mètres d’épaisseur.

Rappelons à ce propos rappelons « ce qui paraît impossible à l’échelle humaine devient, dans l’échelle du temps géologique, possible, et l’improbable devient inévitable*». En effet, certains géologues, et en particulier Gretener (1967), en adoptant un principe mathématique bien connu, ont proposé qu’un événement géologique rare a une durée d’environ 1/100 de la durée totale de la période géologique concernée.

Ainsi, pendant le Phanérozoïque, dont la durée est environ 600 millions d’années, un événement géologique est considéré comme rare s’il a une durée de 6 millions d’années. Dans cette perspective, les cycles stratigraphiques associés aux cycles eustatiques de 3ème ordre, autrement dit les cycles stratigraphiques dit séquences (Duval et al., 1989), bien qu’étant associées à des processus complexes et discontinus, peuvent-ils être considéré comme des événements stratigraphiques rares**?

Au point de vue de la préservation des sections stratigraphiques un des facteurs les plus importants, sinon le plus important, est le niveau de base. Ainsi, les dépôts fluviatiles, qui se déposent au-dessus du niveau de base, ont une faible probabilité de préservation, sauf si une subsidence ou une montée du niveau de base les protège de l’érosion. Par contre, les sections stratigraphiques déposées au-dessous du niveau de base, particulièrement les dépôts profonds, ont une forte probabilité d’être préservés, sauf si un soulèvement tectonique, une importante chute du niveau de mer, ou une subduction empêchent leur conservation.

* Voir Simpson G. G., 1952.

** Dans un événement rare, il n’y a pas de cyclicité. Un événement est rare quand il ne se répète pas à intervalle régulier. Ainsi, un cycle stratigraphique de séquence n’est pas rare car une séquence est précédée et suivie par des séquences du même type.

Bibliographie:

Ager, D.V., 1984- The stratigraphic code and what it implies. In Catastrophism and Earth History, The New Uniformitarism. W. A. Berggreen and J.A. Van Couvering. Editors, Princeton University Press.
Dott, R. H., 1983- Episodic sedimentation- How normal is average? How rare is rare? Does it matter? Journal of Sedimentary Petrology, vol. 53, n° 1, p 5-23.
Duval, B., Cramez, C., Vail, P., 1989-Stratigtaphic cycles and Major Marine source Rocks. In Mesozoic and Cenozoic Sequence Stratigraphy of European Basins, SEPM Special Publication n° 60.
Sadler, P. M., 1981- Sediment accumulation rates and the completeness of styratigraphic sections. Jour. Geol., vol. 89, p. 569-584.
Gretener, P.E.,1967- Significance od therare event in geology. Am. Assoc. Petroleum Geologists Bull., vol. 51, p. 2197-2206.
Simpson, G.GT., 1952- Probabilities of dispersal through time. Am. Mus. Nat. Hist. Bull., vol. 99, p. 163-176.

 


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Last updated: August, 2014